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Comme de coutume à chaque fois que je parle d’alimentation, ma dernière lettre a suscité pas mal de réactions et récolté son lot de réprobation. Dans ce domaine, les idées reçues et les croyances sont tellement enracinées que leur remise en question argumentée suscite souvent une indignation irrationnelle. Par exemple, une végane convaincue n’a pas du tout aimé mes éloges des protéines animales et m’a objecté que l’être humain avait le même système digestif que les gorilles. J’ai eu beau la détromper en lui partageant cet article instructif rétablissant la vérité, elle n’en démordait pas et ne voulait pas admettre que l’homme était anatomiquement omnivore et physiologiquement peu outillé pour digérer les fibres végétales.

Ce qui a surtout déplu, c’est que je prenne la défense des graisses saturées. Leur mauvaise réputation est à ce point implantée dans les esprits que les découvertes scientifiques attestant de leurs atouts suscitent toujours une vive incrédulité. Visiblement, l’anathème pesant sur cette catégorie de lipides n’est pas prêt d’être levé et la vieille pyramide alimentaire qui les excommunie a encore de beaux jours devant elle. C’est étonnant car ça fait quand même un paquet d’années que les chercheurs en nutrition ont entrepris de dédiaboliser ce type de gras. Même sur la très classique plateforme PasseportSanté, la nocivité des graisses saturées est désormais qualifiée de « grand mythe » dépassé. Et l’article bien sourcé se termine en énonçant 6 raisons pour lesquelles il est aberrant de les éviter. Puis-je conseiller à mes détracteurs de lire ce texte attentivement ?

Tester soi-même et observer

En matière de diététique, je pense toutefois qu’il est vain de s’informer tous azimuts. Si vous accumulez les lectures, vous allez vous embrouiller car la notion d’alimentation équilibrée fait l’objet d’interprétations très divergentes, voire antagonistes. Tant dans la littérature médicale que dans les ouvrages grand public, on peut lire à peu près tout et son contraire et il est bien difficile de définir exactement ce que veut dire « se nourrir sainement ». Le mieux est d’expérimenter par soi-même et d’auto-observer comment son organisme réagit à telle ou telle approche nutritionnelle.

Personnellement, j’en ai testé plusieurs au cours de ma vie. J’ai eu une période végétarienne et une phase macrobiotique, j’ai suivi un moment le régime Montignac et j’ai adhéré longtemps aux principes de l’alimentation vivante. Il y a 3 ans, je me suis imposé un carême excluant tout produit animal. Le végétalisme n’est vraiment pas fait pour moi car j’ai beaucoup grossi (4 kilos en 40 jours !) et j’ai souffert d’inconfort intestinal malgré une nette accélération du transit. La meilleure expérience que j’ai eue, c’est avec l’instinctothérapie.

Comme son nom l’indique, cette méthode consiste à manger selon son instinct. Mais pour que cela fonctionne, il faut que les aliments soient originels (donc pré-agricoles), 100 % naturels (donc bruts, bio et non transformés) et consommés à l’état cru puisque la cuisson modifie les goûts et les odeurs. Franchement, je ne me suis jamais senti aussi bien dans ma peau et dans mon corps que durant cette période « instincto ». L’omnivorisme crudivore, c’est pour moi le top du top, une sorte d’idéal à atteindre mais qui est socialement invivable et qui prive inutilement des vertus de la cuisson sur les plans culinaire et sanitaire. Cuire n’est pas toujours nuire car certains antinutriments, comme l’avidine du blanc d’œuf, sont désactivés par la cuisson tandis que certains micronutriments antioxydants, comme le lycopène de la tomate et de la carotte, sont mieux assimilés après cuisson.

Aujourd’hui, c’est dans le régime paléo-cétogène que je trouve mon bonheur alimentaire : il m’apporte les principaux avantages de l’instinctothérapie sans en présenter les inconvénients. Depuis que j’ai sabré dans la portion de glucides au profit des protides et des lipides et que j’ai chassé de mon assiette les produits céréaliers et laitiers non-fermentés, j’ai le net sentiment que ma forme et ma vitalité se sont améliorées. L’avantage d’une telle diète, c’est qu’elle accroît le plaisir de m’en écarter sporadiquement pour m’offrir un bon spaghetti, prendre un dessert lacté ou déguster l’une ou l’autre pâtisserie. C’est important pour moi de m’interdire les interdits car j’aime absolument tout ce qui se mange sans jamais éprouver de dégoût. Aversions et intolérances, connais pas ! Si je n’avais pas tenté diverses expériences, je n’aurais pas pris conscience de cette chance immense.

Les huiles végétales sur la sellette

Ceci dit, on ne peut pas faire une confiance aveugle à son ressenti. Certes, le retrait et la réintroduction du lait de vache permet de constater rapidement que c’est une sacrée vacherie pour l’être humain. Chez moi, cela se traduit automatiquement par de la dysbiose, de l’inflammation et des troubles cutanés. En m’abstenant de gluten et en le réintroduisant, j’ai également pigé que cette protéine mettait mes intestins à mal et que j’y étais plus sensible que la moyenne des gens. Par contre, je n’ai jamais perçu que les lectines (protéines végétales présentes dans certains fruits et légumes) et les FODMAPs (glucides fermentiscibles également présents dans de nombreux fruits et légumes) affectaient ma digestion et ma santé. Alors que de nombreux praticiens de médecine fonctionnelle les dénigrent, je m’accommode plutôt bien de ces deux ennemis à la mode. Dans le sens inverse, ce n’est pas en observant mon métabolisme mais en m’informant que j’ai découvert les mauvais côtés des huiles végétales.

Selon la science nutritionnelle, celles qui contiennent de l’acide linoléique sont fortement néfastes. À ne pas confondre avec l’acide alpha-linolénique (ALA), qui est un acide gras oméga-3, l’acide linoléique (AL) est un acide gras polyinsaturé de la famille oméga-6. On le retrouve en forte concentration dans les huiles bon marché largement utilisées par l’industrie agro-alimentaire (tournesol, maïs, soja, carthame,…) et il est par conséquent massivement présent dans les aliments manufacturés (biscuits, margarine, chips, sauces, plats préparés…). C’est un acide gras dit essentiel, c’est-à-dire que le corps humain ne peut pas le produire lui-même. Nous avons donc besoin d’en manger, de préférence via les noix et les graines, ou en assaisonnement des salades, plutôt que comme moyen de cuisson.

Le problème vient du déséquilibre induit par sa consommation excessive. On estime que nos ancêtres du paléolithique consommaient à peu près autant d’acides gras oméga-6 que d’acides gras oméga-3. Aujourd’hui, le ratio est souvent supérieur à 15 : 1 dans les régimes occidentaux, ce qui veut dire que nous en consommons environ 15 fois plus ! Comme l’avait déjà souligné David-Servan Schreiber dans ses ouvrages, cette évolution est dramatique car le déséquilibre oméga-6 /oméga-3 fait le lit de l’inflammation chronique, laquelle favorise à son tour l’installation de nombreuses pathologies. Dans cette étude, par exemple, il est expliqué que l’AL est converti dans l’organisme en acide arachidonique, un précurseur des prostaglandines qui sont des molécules liposolubles pro-inflammatoires. Sur un terrain perpétuellement enflammé, la pleine santé est condamnée à ne jamais germer.

De plus, l’acide linoléique est très instable, ce qui signifie qu’il s’oxyde rapidement et entraîne à son tour une oxydation de l’organisme. D’après cette étude, ce mécanisme oxydant conduit à la formation de métabolites cytotoxiques, comme le 4-HNE (4-hydroxy-nonénal), impliqué dans les maladies neurodégénératives et cardiovasculaires, ainsi que dans certains cancers puisqu’il est également mutagène. D’ailleurs, le remplacement des graisses saturées par les huiles polyinsaturées pour faire baisser le cholestérol a fait pire que bien pour le cœur et les vaisseaux : selon cette méta-analyse accablante, une augmentation des oméga-6 sans augmentation des oméga-3, accroît le risque cardiaque au lieu de le diminuer ! Ce qui n’empêche pas les fabricants de margarine et leurs publicitaires de continuer de prétendre que ce produit est sain …

Plus récemment, on a découvert le rôle pro-lipogénique (favorisant le stockage des graisses) de l’acide linoléique. En nourrissant des souris avec des huiles végétales, des chercheurs norvégiens ont observé chez les rongeurs une prolifération des endocannabinoïdes (neurotransmetteurs lipidiques propres aux vertébrés), ce qui stimule l’appétit et favorise l’accumulation de graisse corporelle. Il est un fait que la hausse massive de la consommation d’huiles végétales riches en acide linoléique au XXème siècle a coïncidé avec le début de la pandémie d’obésité dans le monde occidental. N’y voir qu’une coïncidence, ce serait se mettre la tête dans le sable.

Accélérateur de cancer, menace pour les seins 

Dans d’autres recherches, les scientifiques ont observé que les animaux nourris à l’acide linoléique expriment en abondance une protéine appelée FABP5. Or cette « protéine de transport » qui se lie aux acides gras apparaît de plus en plus comme un marqueur et un facteur de cancer. Selon cette étude, elle serait notamment impliquée dans la croissance des tumeurs prostatiques. Et selon cette autre étude de 2022, elle favoriserait les mélanomes en inhibant l’apoptose des cellules cutanées cancéreuses. En d’autres termes, la FABP5 semble accélérer les cancers tout en sabotant le système de frein. Interrogé par mes soins, ChatGPT répond assertivement qu’« il existe des preuves expérimentales croissantes indiquant que l’acide linoléique peut favoriser la progression de certains cancers via FABP5 » et que « les implications diététiques pourraient être importantes, surtout dans les populations à risque. »

L’intelligence artificielle parle d’or car une nouvelle étude publiée dans la revue Science met en lumière un phénomène inquiétant : la consommation excessive d’acide linoléique serait liée à l’incidence croissante des cancers du sein les plus agressifs. Les chercheurs ont retrouvé des taux élevés de FABP5 dans les tumeurs et les échantillons sanguins de patientes récemment diagnostiquées d’un sous-type de néoplasie mammaire particulièrement dangereuse, le cancer triple négatif. On l’appelle comme ça parce qu’il ne possède aucun des trois récepteurs ciblés habituellement par les traitements oncologiques. Selon le professeur John Blénis, auteur principal de l’étude, ces résultats alarmants « apportent un éclairagenouveau sur l’impact des graisses alimentaires dans le développement du cancer »et ouvrent la voie à des « recommandations nutritionnelles plus personnalisées ».

Conseils pratiques

On l’aura compris : l’acide linoléique n’est pas un poison en soi. C’est son omniprésence alimentaire qui est délétère et c’est la balance oméga-6/oméga-3 qu’il convient absolument de corriger. Pour y arriver, les nutritionnistes appellent d’abord à limiter la consommation des huiles végétales industrielles « cachées » dans les produits transformés et ultra-transformés. Chez soi, ils suggèrent également de privilégier des huiles plus équilibrées comme l’huile d’olive et de chanvre, ou des huiles riches en oméga-3 comme l’huile de lin et de colza. Enfin, ils recommandent chaudement d’augmenter l’apport en oméga-3 via la consommation de poisson gras (saumon, sardine, maquereau, hareng…), voire d’envisager une supplémentation en huile de poisson.

Concernant l’AL consommé à notre insu, n’oublions pas non plus que la viande ou les œufs peuvent en dissimuler de grandes quantités si les animaux d’élevage sont nourris avec des céréales, du maïs ou des tourteaux de soja. Il est crucial que les poules et les poulets soient élevés en plein air et que le bétail broute en pâture et reçoive du fourrage en hiver au lieu d’être cantonné à la mangeoire. Perso, je ne mise plus que sur les œufs et la viande bio dont je connais les producteurs et leurs méthodes de production. Comme je ne suis pas végétarien et que je mange beaucoup de produits marins, je ne prends pas d’autres précautions et je ne me complémente pas en algues, graines de chanvre, graines de chia ou huile de périlla, qui sont autant de bonnes sources végétales d’oméga-3. En revanche, je veille à mettre dans mon assiette des légumes riches en oméga-3 (pourpier, mâche, épinards, choux…) et à faire fréquemment appel aux avocats, fruits qui en sont généreusement pourvus.

Les noix ? Certains nutritionnistes américains vont jusqu’à conseiller de les ostraciser pour ne pas se charger en oméga-6. Mais c’est oublier un peu vite que les oléagineux à coque contiennent aussi les bons oméga-3. Avec les pistaches et les arachides, les noix et noisettes ont toute leur place dans un régime paléo-cétogène. En automne, mon noisetier me permet de faire des provisions pour toute l’année et je me réjouis que mon noyer « donne » à son tour pour devenir également autonome en cerneaux. Si j’avais un seul conseil à donner, ce serait de consommer sans crainte tous les aliments que l’homme préhistorique pouvait prélever dans la nature avant la funeste invention de l’agriculture. Quelles qu’elles soient, les huiles végétales ne figurent évidemment pas dans cette plage alimentaire ancestrale. Et vu que beaucoup d’entre elles renferment de l’acide linoléique à profusion, raison de plus pour en user avec modération.

Yves Rasir

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