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Il y a quelques semaines, j’ai partagé sur Facebook l’annonce faite par Donald Trump d’un changement de composition du Coca-Cola aux États-Unis. Selon lui-même, le président des USA aurait en effet obtenu de la compagnie d’Atlanta qu’elle modifie la recette de sa boisson ultra populaire en remplaçant le sirop de maïs par du sucre de canne, comme c’est le cas en Europe et dans d’autres pays. Dans ma publication, je saluais l’initiative et je soulignais que le passage au saccharose était une très bonne chose pour la santé des Américains. En abandonnant le fructose dans les sodas, la multinationale ferait un grand pas diététique et elle aiderait l’Amérique à devenir « healthy again ». Par ricochet, l’omniprésence du sirop de maïs serait remise en cause et le monde entier profiterait de la dévaluation de cet additif alimentaire aux effets sanitaires désastreux.

À ma grande surprise, ma sortie sur le réseau social a quasiment fait scandale. Je me suis ramassé de nombreux commentaires disant en substance que ce changement d’ingrédient sucrant ne changerait rien, qu’ « un sucre restait un sucre », que les poisons s’équivalaient et que j’étais en train d’applaudir naïvement le remplacement de la peste par le choléra. Plus étonnant encore, certains commentateurs faisaient valoir que le fructose venant des fruits ou du maïs était probablement plus sain que le saccharose extrait de la canne à sucre ou de la betterave sucrière. Ces commentaires m’ont très fort étonné car je pensais mes contemporains beaucoup mieux informés sur les défauts et désavantages du fructose simple ajouté. Il est visiblement urgent de rectifier quelques croyances et de remettre certaines pendules nutritionnelles à l’heure ! 

Un faux ami qui engraisse le foie

Qu’est-ce d’abord que le sirop de maïs riche en fructose ou high fructose corn syrup (HFCS) ? C’est un édulcorant fabriqué industriellement à partir de la tige de maïs. Inventé aux États-Unis dans les années 60, il résulte d’un procédé chimique permettant de convertir en fructose l’amidon du maïs. Résultat : un sirop liquide contenant entre 42 et 55 % de fructose, le reste étant du glucose. Moins cher que le sucre de canne et de betterave, plus soluble et plus stable, il est surtout 2,5 fois plus sucrant que ses rivaux, ce qui a tout de suite séduit l’industrie agro-alimentaire. Entre 1970 et 1990, sa consommation a été multipliée par plus de 1 000 chez l’Oncle Sam ! Il compose aujourd’hui la majorité des sucres ajoutés dans les sodas, snacks, biscuits, confiseries, sauces et autres produits transformés. 

Certes, le fructose est un sucre simple, ou monosaccharide, naturellement présent dans le miel, les fruits et certains légumes. Ce n’est donc pas le diable. Mais à l’état naturel, il est associé à des fibres, vitamines, antioxydants et autres flavonoïdes bénéfiques. Dans le sucre ordinaire (saccharose), le glucose et le fructose sont liés et ils traversent le tube digestif pour être absorbés simultanément dans l’intestin grêle. Sous sa forme isolée et concentrée, le fructose se comporte très différemment : il va directement au foie. Il contourne les étapes classiques du métabolisme glucidique, en particulier la régulation par l’insuline, et intègre en droite ligne le processus de lipogenèse hépatique, c’est-à-dire la fabrication de graisses dans le foie.

Ce mécanisme entraîne une accumulation de triglycérides dans les cellules hépatiques. Selon une étude publiée en 2016 dans la revue Hepatology, cette surcharge graisseuse peut aboutir à une stéatose hépatique non alcoolique (ou NASH), une affection désormais considérée comme l’une des principales causes de maladies chroniques du foie dans le monde, touchant environ 1 adulte sur 4. Pire encore : cette graisse hépatique favorise l’inflammation, l’insulinorésistance et le stress oxydatif, créant ainsi un cercle vicieux qui affecte globalement l’organisme. Comme le rappelle volontiers l’hépatologue français Dominique Lannes, « ce qu’on appelait hier le foie gras des alcooliques devient aujourd’hui celui des enfants obèses ». 

Une fabrique silencieuse d’obésité et de diabète

Les corrélations entre l’explosion de la consommation de HFCS et la hausse des taux d’obésité sont évidentes. En 2004 déjà, une étude épidémiologique parue dans The American Journal of Clinical Nutrition établissait une association entre la montée du HFCS dans les boissons sucrées et la flambée des cas d’obésité aux États-Unis. Le mécanisme est double : d’une part, le fructose n’induit pas la même réponse hormonale que le glucose. Il ne stimule que faiblement la sécrétion d’insuline et celle de leptine, l’hormone de la satiété. Résultat : on continue à manger sans ressentir de signal d’arrêt. D’autre part, en augmentant la lipogenèse, le fructose favorise l’accumulation de graisse viscérale — la plus délétère sur le plan métabolique.Une étude publiée en 2009 dans le Journal of Clinical Investigation a montré qu’en deux semaines seulement, des volontaires consommant des boissons sucrées au fructose voyaient leur taux de triglycérides, leur résistance à l’insuline et leur masse grasse viscérale augmenter significativement.

Le fructose, à l’inverse du glucose, n’élève pas immédiatement la glycémie. C’est d’ailleurs l’un des arguments utilisés par les défenseurs des produits à base de HFCS : un index glycémique faible. Mais cette vision est trompeuse car c’est précisément cette absence de stimulation insulinique qui constitue l’inconvénient. Une consommation chronique de fructose engendre une insulinorésistance hépatique : le foie, saturé de graisses, répond de moins en moins à l’insuline. Cela force le pancréas à en produire davantage, entraînant à terme un épuisement des cellules β. 

Ce mécanisme est l’un des moteurs du développement du diabète de type 2. Un essai clinique mené en 2010 sur des adolescents a montré qu’une consommation régulière de boissons au HFCS augmentait dramatiquement la résistance à l’insuline et les marqueurs inflammatoires. Et en 2012, une enquête épidémiologique mondiale a révélé que les pays à forte consommation de sirop de maïs enregistraient une prévalence du diabète environ 20 % supérieure à celle des pays à consommation faible. Qui oserait encore dire que Donald Trump, aiguillonné par son ministre de la santé Robert Kennedy, n’a pas mis le doigt sur une problématique cruciale ? 

Une addition également salée pour le cerveau

Au-delà du métabolisme, le fructose interagit puissamment avec notre cerveau. Plusieurs études en imagerie cérébrale ont mis en évidence que le « sucre de fruit » activait les circuits de la récompense – notamment le noyau accumbens – de manière similaire à certaines drogues, en libérant de la dopamine. Une autre étude a montré que, comparé au glucose, le fructose activait moins les zones du cerveau associées à la satiété, tout en maintenant une forte stimulation des circuits de la récompense. Ce déséquilibre favorise une surconsommation et pourrait expliquer en partie les troubles alimentaires compulsifs.Une recherche publiée dans Neuroscience & Biobehavioral Reviews va encore plus loin et évoque un « potentiel addictif » du fructose sensiblement supérieur à celui du glucose.

Ce n’est pas tout. Chez l’animal, une étude sur des rats  nourris avec un régime riche en fructose a mis en évidence une altération de la plasticité synaptique et une baisse significative des capacités de mémorisation, en lien avec une réduction de la neurogenèse hippocampique. Une autre étude de l’université de Princeton a révélé que les jeunes rats ayant consommé du HFCS montraient des signes précoces de syndrome métabolique et de troubles comportementaux. L’auteur de cette recherche a conclu que le fructose faisait autant de ravages que l’éthanol ! Chez l’homme, les données sont encore préliminaires, mais des corrélations commencent à apparaître entre consommation de sucres ajoutés et déclin cognitif. Une étude de l’université de Californie a par exemple mis en évidence une association entre consommation élevée de boissons sucrées et risque accru de maladie d’Alzheimer. Il ne fait plus guère de doute que le HFCS occasionne également des dommages à l’étage cérébral. 

Un ennemi sournois qui se cache partout

En Europe, on l’a dit, la Coca-Cola Company n’ajoute pas de sirop de maïs dans son produit phare. Mais ça ne veut pas dire que cet édulcorant malfaisant est moins présent dans nos cannettes et nos assiettes. En 2017, l’Union Européenne a aboli son système des quotas sucriers et a notamment supprimé les freins à la production d’isoglucose. Or c’est l’une des dénominations « cachées » du HFCS ! Sur les étiquettes, il est également dissimulé sous les noms de « sirop de fructose », de « sirop de glucose-fructose », voire de « sucres invertis ». Une telle opacité empêche bien sûr les consommateurs d’évaluer correctement leur exposition. 

L’Europe va-t-elle subir le même sort que la Chine ? Dans l’empire du Milieu, la consommation de boissons sucrées à base de fructose a explosé ces 30 dernières années. Bilan : une hausse vertigineuse du taux d’obésité infantile (+ 300 % depuis 1995, selon l’OMS) et des cas de diabète chez les adolescents, deux tendances qui se dessinent également sur notre continent. À ce tableau noir, il faut encore ajouter que le fructose isolé augmente le taux d’acide urique (ce qui peut entrainer la goutte et des problèmes rénaux), qu’il consomme une grande quantité de vitamines et minéraux (zinc, chrome, vitamine B, vitamine D…) et qu’il augmente la teneur en graisses d’organes autres que le foie (les poumons et le cœur), ce qui accroit le risque d’hypertension artérielle et de maladies cardiovasculaires. 

Bref, on peut franchement féliciter Donald Trump d’avoir cassé du sucre sur le dos du High Fructose Corn Syrup et d’avoir exigé qu’il soit évacué de sa boisson préférée. Ce faisant, il a montré que son administration ne craignait pas d’affronter Big Food en plus de Big Pharma. Si mes vœux se réalisent, ce coup de projecteur négatif sur le HFCS devrait faire prendre conscience de ses nuisances et mener progressivement à son remplacement dans les autres produits manufacturés. Le retour au saccharose n’est évidemment pas une solution idéale. Le recours massif à des sources de fructose plus naturelles (sirop d’agave ou d’érable, jus de fruits concentré…) n’est pas non plus très souhaitable. Se rabattre sur les édulcorants artificiels comme l’aspartame ou l’acésulfame K , ce serait encore une plus mauvaise idée.

Mais si c’était la deuxième chance de la stévia ? En 2015, Coca-Cola a lancé en fanfare sa version « green » partiellement édulcorée avec les feuilles de cette plante à la fois très sucrante et pas du tout calorique. Aujourd’hui, ce « coca vert » a disparu des rayons car ce fut un échec commercial magistral, le consommateur n’ayant pas apprécié l’arrière-goût de réglisse et la légère amertume procurés par le végétal. Sa riche composition (vitamines, minéraux, oligo-éléments..) et ses nombreuses vertus médicinales (hypotensive, antioxydante, anti-inflammatoire…) en font pourtant un édulcorant naturel de premier choix. Maintenant que le président américain a mis les pieds dans le plat et sérieusement écorné le sirop de maïs, ce serait peut-être le moment d’impulser un changement de mentalité et de retenter le pari stévia. Allô, Atlanta ? 

Yves Rasir

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